Quelle démocratie concevoir ? Le compte-rendu…

Quelle démocratie participative concevoir ? Nous avons été quatorze à nous réunir autour de cette question dimanche 3 mars 2019 suite à mon invitation à venir en débattre ensemble. Douze pour commencer, plus deux autres qui nous ont rejoint ensuite.

Quatorze personnes qui ne se connaissaient pas : nous ne connaissions au plus qu’une, deux, voir trois personnes pour certain⋅e⋅s.

Plus qu’un débat qui oppose les points de vue, il s’agissait davantage de confronter nos opinions pour voir ce qui pouvait faire consensus. Voilà le compte rendu rédigé et relu par 9 d’entre-nous, que nous avons envie de partager avec vous :

Qu’est-ce que la démocratie ?

Tout d’abord, voici comment nous avons défini la démocratie, ensemble :
« La prise de décision commune faisant intervenir l’ensemble des individus membres d’un collectif dans la recherche d’un consensus sur l’intérêt général et dans le respect des biens communs »

Pour qu’une loi ou directive puisse être considérée comme juste, il nous paraît essentiel qu’elle puisse être élaborée en impliquant tout particulièrement les personnes qui seront directement impactées, afin de l’élaborer en connaissance de cause et avec une réelle compréhension de la situation sur le terrain.

Notre devise, Liberté, Égalité, Fraternité, reflète bien en elle-même notre idéal démocratique.

Qu’est-ce qu’y participer signifie ?

1. Le VOULOIR, en adoptant un esprit collectif :

Appliquer notre devise « Liberté, Égalité, Fraternité » pour qu’elle devienne une  réalité pour tout⋅e⋅s :

  1. Donner sa place à l’autre (pas de discrimination ou de marginalisation), et en attendre la réciprocité. Prendre conscience que la démocratie, c’est « moi avec les autres que je n’ai pas choisi« .
  2. Réfléchir à comment s’impliquer soi-même pour œuvrer à l’intérêt général et la préservation / développement du bien commun.
  3. Apprendre à travailler ensemble pour être constructif, chercher à comprendre les divergences pour trouver des solutions prenant en compte les réalités de chacun⋅e⋅s.
  4. Se conformer aux décisions prises collectivement : le droit de co-écrire les règles du jeu implique de s’y plier, en respectant les décisions prises consensuellement.

Note : L’idée de se plier aux décisions de la majorité ne faisait l’unanimité : une majorité de 50%+1 voix faisant quasiment 50% de mécontents et ne reflétant pas l’idée que tout le monde se fait de la démocratie. Le mot « consensuellement » a donc été préféré.

2. Le POUVOIR :

En ayant les moyens de faire des choix :

  1. Avoir accès à l’instruction citoyenne pour mieux comprendre les problématiques et les enjeux de société :
    • par des matières enseignées permettant d’avoir une vision plus globale
    • par des méthodes pédagogiques permettant l’émergence d’une pensée critique,
      • par l’apprentissage de l’analyse des médias, notamment les images et les films permettant de faire la distinction entre une information objective et subjective.
      • par l’encouragement à replacer les choses dans leurs contextes.
  2. Avoir accès à des médias indépendants et variés, pour croiser les informations et points de vue.
  3. Avoir des conditions de travail permettant de se ressourcer assez pour avoir le temps de se renseigner et participer à la vie politique (difficile pour quelqu’un⋅e contraint⋅e à un rythme de travail trop astreignant et décalé).
  4. Avoir le temps de la réflexion pour prendre du recul avant d’avoir à prendre une décision et ainsi limiter l’influence de l’urgence et de l’émotionnel….
  5. Avoir l’opportunité de confronter ses idées à celles des autres, pour mieux les remettre en question et les approfondir, ce qui peut permettre au fil de la réflexion de trouver les points de convergences de points de vue en apparence très divergents.

En ayant la possibilité de s’exprimer :

  1. Pouvoir se prononcer sur les programmes politiques, par le vote, mais aussi en faisant des suggestions ou critiques directes.
  2. Être reconnu⋅e dans les initiatives personnelles visant l’intérêt général / le bien commun.

Quoi proposer et comment ?

1. Intégrer le RIC CARL dans la Constitution

(Référendum d’Initiative Citoyenne Constituant, Abrogatoire, Révocatoire et Législatif)

Risques :

  1. Question trop large et manquant de précisions : exemple pour le Brexit, la question : Le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? ne permettait pas de préciser dans quelles conditions on proposait de quitter l’UE. Donc deux ans et demi après le résultat, aucun consensus ne s’est dégagé et le pays est dans une impasse politique.
  2. Vigilance sur le déroulement
  3. Vigilance sur les seuils de souscription et les moyens d’information

Modalités proposées :

  1. Avoir la possibilité de choix multiples
  2. Avoir une commission indépendante chargée de s’assurer que la question et les choix proposés ne laissent pas place à l’ambiguïté dans la mise en application et approfondir les conséquences des divers choix, pour mieux en informer le public.
  3. Appliquer le RIC au niveau local pour commencer, le temps d’apprendre à utiliser ce nouvel outil démocratique (apprendre à formuler les questions de façon juste et réfléchie, en ayant pleinement étudié et exposé les conséquences d’un oui, non ou vote blanc majoritaire)

2. Changer le mode de scrutin :

Implémenter le scrutin par jugement majoritaire pour tous les votes. Chaque candidat⋅e ou proposition est notée de 0 à 10, puis le choix gagnant est obtenu en comparant les médianes de jugement pour chaque candidat.

3. Décentraliser

  1. Pouvoir s’investir et influencer les décisions à prendre en tant que simple citoyen⋅ne à tous les niveaux : quartier, commune, nation, Union Européenne, au quotidien.
  2. Donner une plus grande marge de manœuvre aux collectivités territoriales, en accroissant les points de rencontres entre elles pour échanger sur ce qui ce qui marche ou sur les difficultés rencontrées, et rechercher ainsi une harmonisation territoriale sans centralisation.
  3. Élire les préfet⋅e⋅s directement : même si ceux⋅celles-ci sont chargé⋅e⋅s d’appliquer la politique nationale au niveau local, on devrait pouvoir choisir un profil correspondant à la situation et culture locale. Il s’agit d’éviter que les prefet⋅e⋅s soient les pions du ministère de l’intérieur endossant localement la responsabilité d’un traitement « global (et donc sans souplesse) de l’ordre public.

Les préfet⋅e⋅s deviendraient des garant⋅e⋅s de la paix et de l’ordre public, et jouiraient d’une meilleure marge d’action pour encadrer les remous sociaux. Les citoyen⋅ne⋅s connaîtraient aussi mieux leur préfet⋅e et seraient plus à même de dialoguer avec lui ou elle. Ce serait un peu comme appliquer à la préfecture une notion de police de proximité ou veille citoyenne.

4. Se prononcer plus fréquemment sur des questions plus précises

Moyens techniques à utiliser :

Option 1 : vote papier

Difficulté :

  • Se rendre disponible pour aller voter.
  • Procuration possible, mais aucun moyen de s’assurer que la personne a bien respecté la consigne de vote.

Proposition :

  • Voter sur une période plus longue pour une plus grande flexibilité.
Option 2 : le vote électronique « secret » :

Risques

  • Si le vote est secret, il est impossible de prouver l’absence de bug, voir de constater un bug affectant l’issue du scrutin
  • Si la blockchain est utilisée, il reste une incertitude sur le respect du secret du vote dans le futur (tout est conservé et donc un bulletin secret au moment du vote peut ensuite être « cracker », et donc révélé par la suite.
  • La blockchain est aussi un système de vote électronique qui se dit vérifiable, c’est-à-dire qu’il permet aux électeur⋅trices⋅s de constater si leur vote a été modifié, mais le caractère vérifiable n’a aucune valeur juridique car une personne qui constate que son vote a été changé ne peut en apporter la preuve au juge électoral. Le mauvais fonctionnement de ces systèmes ne peut donc être établi. (Source : « Les dispositifs de vote électronique dits vérifiables » )
  • Il peut y avoir des bugs.

Conclusions :

  • Pour garantir le secret, un vote terminé doit être suivi de la destruction des bulletins, ce qui n’est pas le cas de la blockchain.
  • Le vote électronique n’est pas transparent.
Option 3 : vote électronique sans garantie de secret futur :

Risques :

  • Si le vote est non secret, des pressions sont possibles sur le ou la votant⋅e.

5. Créer des Assemblées citoyennes pour :

  • Contrôler les subventions qui seraient données à la presse pour lui permettre d’être professionnelle et indépendante de l’oligarchie ou des recettes publicitaires
  • Veiller à la transparence du budget de l’État (trésor public)
  • Veiller à la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
  • Agir et décider au niveau européen, national, dans sa région, son département, sa ville, son quartier.

Modalités :

  • Tirées au sort (calqué sur le système jury populaire)

Réticences :

  • Nécessité de former ces personnes, de compenser leur absence sur leur lieu de travail
  • Tout le monde n’est pas convaincu par la pertinence du hasard et certain⋅e⋅s préfèrent choisir leur « délégué⋅e. »

6. Adopter la Démocratie liquide (= mixte démocratie directe et représentative)

= Voter pour les sujets que l’on connaît et déléguer son vote à quelqu’un de confiance pour les autres (Voir l’article de Framablog sur la démocratie liquide)

Les avantages :

  • Possibilité de choisir au niveau individuel entre démocratie directe (voter sur les propositions) et démocratie par délégation (désigner quelqu’un pour voter) selon les sujets
  • Possibilité pour les citoyen⋅ne⋅s de siéger à des assemblées décisionnelles (et non seulement consultatives) dans les domaines où l’on choisit la démocratie directe.
  • Toute personne qui obtient la confiance d’une autre peut être délégué⋅e : aucun parti politique n’est nécessaire pour rallier des sympathisants.
  • Fluidité : pas de campagne électorale massive risquant de jouer sur l’émotionnel ; mandat révocable et ré-attribuable à tout moment : créer la responsabilité chez le⋅la délégué⋅e.

Risques :

  • Risque de « démocratie des experts » = se fier aux experts au lieu de donner au commun des mortels les moyens de voter de façon avertie.
  • Recours au vote électronique, avec réserves exprimées plus haut.

Proposition :

  • Poser directement la question aux citoyen⋅ne⋅s sur ce qui leur importe le plus : avoir la possibilité de s’exprimer davantage et de participer plus fréquemment aux décisions, ou davantage garantir l’anonymat mais moins participer…
  • Tester sur un domaine donné, au niveau national, pour commencer (par exemple l’écologie).

=> Mixité des solutions : démocratie directe, liquide et représentative à adopter selon le champs d’application et le périmètre (local, régional, national, européenne)

7. Cultiver la culture du consensus :

  • Développer les ateliers de réflexions démocratiques : à l’école, sur le lieu de travail et en dehors, pour à terme pouvoir mettre fin aux partis politiques (trop clivants)
  • Avoir des opportunités fréquentes d’être écouté⋅e⋅s par les différentes instances du gouvernement pour trouver des solutions adaptées au terrain et pouvoir signaler les dysfonctionnements éventuels concernant certaines lois ou directives.

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