Les contes de fées normalisent-ils les violences faites aux femmes ?
L’Assemblée nationale vient d’adopter définitivement la loi contre les violences sexistes et sexuelles permettant ainsi de reconnaître officiellement leurs existences et d’amorcer leur non-tolérance en offrant un outil pour les fois où il serait possible de prouver ces violences.
Comme dans le cas de Marie Laguerre, cette jeune femme de 22 ans qui s’est prise une baffe par un harceleur qui n’a pas supporté qu’une femme le remette à sa place en accueillant les bruitages sexuels fait à son encontre par un « Ta gueule !« , mais qui a pu récupérer l’enregistrement de vidéo surveillance pour porter plainte et surtout attirer l’attention sur ce phénomène encore trop fréquent.
Une sanction est rarement une réponse suffisante si on ne se penche pas sur l’origine du problème, sur ce qui amène à ces violences pour commencer, cependant… Alors d’où viennent-elles ?
Que nous racontent les contes de notre enfance ?
Dans une vidéo réalisée par le Huffington Post, Typhaine D., autrice de « Contes à rebours », interpelle sur le détournement d’une partie du matrimoine, notamment l’héritage de la transmission orale des histoires aux enfants (on parlera de « matrimoine » et non de « patrimoine » car perpétuée principalement par les mères, grand-mères, sœurs ou autres nounous, au quotidien et de génération en génération).
Ces contes, inventés et racontés par les femmes à l’origine, n’ont pu être publiés et diffusés à large échelle que par les seules personnes qui avaient la main mise sur ces outils de diffusion à l’époque, c’est-à-dire des hommes, et qui ont donc pu au passage réorienter les rôles en leur faveur.
Mais prenons le temps de s’interroger :
Qu’est-ce qu’un homme qui embrasse une inconnue dans son sommeil (donc sans son consentement) comme dans Blanche Neige ou la Belle au bois dormant ? Un prince charmant ou un agresseur ?
Doit-on encourager les petits garçons à prendre pour modèle ce « héros » ? Doit-on en tant que petite fille être incitée à accepter que l’on dispose de nous ? Combien de nous avons été embrassées par surprise, et donc sans désir, au cours de notre vie en grandissant ? Devrions-nous tolérer dans les contes ce que nous nous ne voulons pas accepter dans la vie ? Pourquoi le héros n’embrasse-t-il pas son héroïne après l’avoir charmée et fait monter en elle un désir plutôt que de lui imposer le sien ?
Le message que nous souhaitons envoyer est-il que nous sommes toutes « potentiellement disponible sexuellement » ? Qu’il n’ y a qu’à nous « cueillir » ?
Que chantons-nous avec nos enfants ?
En famille, avec ma mère et mes sœurs, nous avions pris l’habitude de souvent chanter des chansons populaires folkloriques en voiture, pour nous motiver et rester éveillées durant les longs trajets…
Combien de fois avons-nous chanté « Jeanneton prend sa faucille », sans qu’aucune de nous, pourtant toutes féministes, ne tiquent sur les paroles ? Non, nous chantions « lalirette, lalireeeettte » en nous y prenant à cœur joie, jusque qu’au jour où nous nous sommes tout de même arrêtées sur ces paroles chantées machinalement : « Mais en fait, il s’agit un viol collectif ?? Et on en rigole gaîment ???? »
Celui d’une jeune adolescente en plus certainement, puisque l’on utilise le diminutif « Jeanneton » plutôt que Jeanne…
Voici les paroles en entier :
Jeanneton prend sa faucille
Lalirette, lalirette
Jeanneton prend sa faucille
Pour aller couper les joncs
En chemin elle rencontre
Quatre jeunes et beaux garçonsLe premier un peu timide
L’embrassa sur le menton
Le deuxième, un peu moins sage
L’allongea sur le gazon
Le troisième encore moins sage
Lui releva son blanc juponCe que fit le quatrième
N’est pas dit dans la chanson
Si vous le saviez, Madame
Vous iriez couper les joncs
La morale de cette histoire
C’est qu’sur 4, y a 3 couillonsLa morale de cette morale
C’est qu’les hommes sont des cochons
La morale de cette morale
C’est qu’les femmes aiment les cochons
Dans cette comptine pour enfants, non seulement il est considéré normal qu’une jeune femme se fasse agresser en allant travailler seule dans les champs, mais en plus les 3 premiers hommes qui ne vont pas jusqu’au bout du viol sont raillés pour leur « manque de virilité » : « un homme, un vrai », est-ce quelqu’un qui s’impose aux femmes ?
Et bien sûr, il va de soi que les femmes aiment être violées… (pas de jeu de séduction ici, susciter le désir d’une femme est sans importance.)
Qu’est-ce qu’un viol d’ailleurs ?
Celui que des réalisateurs (hommes) portent au cinéma en le caricaturant et en l’empreignant de clichés pour mieux s’en différencier, ou ceux, divers, dont les femmes témoignent mais dont bien des auteurs de leurs agressions tombent des nues lors de leur accusation tellement ils avaient normalisé leur comportement ?
Ils parleront alors souvent de « vengeances » ou de « gains » quelconque à « s’afficher comme victime, plutôt que de se questionner sur le type de rapport hommes-femmes qu’ils ont intériorisé et toujours considéré comme normal, et donc acceptable.
Alors, on fait quoi de cet héritage culturel ?
Si l’on souhaite faire connaître ces contes qui ont marqué l’inconscient collectif aux enfants, n’est-il pas de la responsabilité de chaque adulte de le faire en leur apprenant à avoir un regard critique sur ces scènes ? De leur expliquer qu’elles viennent d’une époque où les femmes étaient bien souvent considérées comme la propriété d’un homme (d’un père ou d’un mari) et où les discriminations et violences vis à des femmes allaient de soi ?
Si nous avons tou⋅te⋅s hérité d’un monde sexiste, machiste (voir misogyne si l’on prend en considération ces violences), aucun de nous ne l’avons choisi en naissant. Et si nous ne pouvons certes pas nier ou complètement ignorer les histoires et légendes qui ont façonné notre culture, le regard que nous portons sur elles et que nous transmettons à notre tour aux plus jeunes, ne façonne-t-il pas notre futur ?
Voici la vidéo précitée :
Certains montrent aussi la force des filles qui sauvent leurs frères comme
Les sept corbeaux https://www.conte-moi.net/contes/sept-corbeaux
ou Hansel et Grethel https://www.iletaitunehistoire.com/genres/contes-legendes/lire/hansel-et-grethel-biblidcon_058
À nous de changer la donne en les racontant à nouveau. 🙂
Je trouve ça super Meldane que tu choisisses des exemples concrets de ce que nous avons intériorisé et laissé penser que c’était normal et je suis, comme toi, d’avis de prendre ces références pour expliquer aux plus jeunes comme aux moins jeunes d’ailleurs, que ce n’est en aucun cas une manière de traiter ou de parler des femmes.
Je suis déjà féministe mais merci de m’avoir ouvert les yeux sur ces éléments que je n’avais pas forcément en tête !
Merci pour votre article si pertinent Leslie, et de votre partage de l’interview du Huff suite à mon spectacle et livre de réécriture féministe des contes de notre enfance, « Contes à Rebours » (plus d’infos sur http://www.typhaine-d.com)
En toute sororité, une formule a attiré mon attention « s’est prise une baffe » ou « considéré normal qu’une jeune femme se fasse agresser », qui laisse entendre que la victime, active, y est pour quelque chose. À ce sujet, je passe la main dans cette superbe video à Christiane Taubira et Leonora Miano : https://www.youtube.com/watch?v=r7LOvlJC3aw
Merci encore à vous,
Typhaine D
J’ai pourtant pleinement conscience de la portée de ce genre d’expression et suis particulièrement sensibilisée à la nécessité de ne plus les utiliser…
Et pourtant, cela m’a tout de même échappé !
Cela démontre à quel point nous sommes tou⋅e⋅s imbibé⋅e⋅s par cette culture discriminante et culpabilisante que nous continuons à propager trop souvent inconsciemment et involontairement.
À nous tou⋅te⋅s d’être attentif⋅ve pour contribuer à changer la donne ! 😉